Histoire de la collecte à Tours

Un texte de Jean-Luc Porhel, Conservateur en Chef des Archives Municipales de Tours

Gérer les ordures ménagères : une longue préoccupation de la Ville de Tours

Une création par volonté royale

La mauvaise hygiène publique est source de diffusion de maladies, dont la peste qui touche durablement la France à partir de 1348. La terrible épidémie gagne rapidement Tours où elle apparait par intervalles irréguliers. L’exhalation des vapeurs infectes qui corrompent l’air est due pour une large part à la malpropreté des rues qui sont encombrées d’immondices. Ces mauvaises conditions d’hygiène provoquent une grande mortalité qui inquiète le roi Henri II. Pour y remédier, celui-ci ordonne par lettres patentes du 3 août 1553 que la municipalité de Tours mette journellement deux tombereaux en service pour enlever les boues et nettoyer les rues. Pour faire face à cette charge, le roi autorise le corps de ville à lever un impôt spécial auprès des habitants.

Le service d’enlèvement des boues et immondices fonctionne de manière régulière jusqu’en 1590. Il est alors supprimé par l’opposition des chapitres religieux. Rétabli en 1685, il disparait à nouveau pour être réactivé en 1714. Les boues sont alors transportées au pied de la terrasse s’ouvrant au sud de la ville à l’entrée de la levée de Grammont (actuelle place Jean-Jaurès). Elles servent d’amendement aux jardins potagers qui s’y trouvent. Mais à plusieurs endroits, ce dépôt forme des cloaques d’où exhalent des odeurs néfastes lors des périodes de grande chaleur. Par ailleurs, l’espace situé entre la fortification du XIVe siècle et celle du XVIIe siècle reçoit aussi les immondices des habitants de la vieille ville en grande quantité. Ces dépôts sont néfastes pour l’air de la ville.

Un arrêt du Conseil d’Etat du Roi du 6 décembre 1787 autorise la Ville à relancer ce service. Un cahier des charges du 16 mai 1788 en définit la mise en œuvre. Le ramassage se fera le matin à partir de 7h, trois fois par semaine par répartition en trois secteurs, soit un passage par semaine dans toute la ville. Ce service est adjugé à trois particuliers. Mais il fonctionne mal. Le 27 février 1790, la municipalité décide de résorber cette incurie par une nouvelle organisation, tout en maintenant l’ancien droit donné aux pauvres de ramasser les boues et les fumiers dans les rues.

La concession de la collecte à des entrepreneurs

Si la municipalité veille à ce que les détritus n’encombrent pas les rues et les places de la ville, elle n’en assure pas pour autant la responsabilité de ce service. Par traité, elle le confie à des entrepreneurs privés. Les adjudicataires peuvent être aussi bien des entrepreneurs de roulage, de camionnage, aussi bien que des cultivateurs qui y trouvent une source d’amendement pour leurs cultures. Mais les habitudes des habitants amènent la mairie à intervenir régulièrement pour maintenir l’hygiène des rues. Elle promulgue alors des arrêtés, comme celui du 5 novembre 1810 pour recourir à des indigents pour faire enlever les boues et immondices persistantes, ou celui du 16 septembre 1828 interdisant tout dépôt d’immondices sur l’espace public. Afin de faciliter l’opération de collecte, la municipalité impose, par arrêté du 29 mai 1909, l’usage des récipients dit « poubelles ». Ceux-ci seront soit en bois, soit en zinc, soit en tôle. Ils auront deux poignées et une capacité maximale de 60 litres et ne devront pas accéder 25 kg en charge. Mais les boites métalliques mettent du temps à se répandre, beaucoup d’habitants utilisant des boites en bois ou en carton, au​ moment de la mise en service de l’usine d’incinération en 1925. De tout temps, les entrepreneurs adjudicataires de l’enlèvement des ordures ménagères n’ont pas donné satisfaction à la municipalité.

Les décharges contrôlées

En concédant l’enlèvement des boues et immondices à des particuliers, la municipalité de Tours leur laisse le choix des terrains servant de dépôt. Toutefois, le nouveau cahier des charges établi en 1851 impose aux adjudicataires de déposer les matières pouvant servir d’engrais sur un terrain communal appelé Pâtis Saint-Lazare. Il est complété plus tard par un nouveau dépôt dans la prairie de la Bergeonnerie qui appartient à la Ville.

Mais de nombreux particuliers déposent leurs ordures ménagères de manière illicite le long du Cher et même sur la levée. Par arrêté du 28 février 1945, il est alors interdit de faire tout dépôt d’ordures en-dehors du dépôt municipal en activité le long de la levée du Cher, près du pont Saint-Sauveur.

Constatant que la destruction des ordures ménagères par l’usine d’incinération ouverte en 1925 coûte cher et qu’elle ne fonctionne pas à plein régime, la municipalité réfléchit à d’autres procédés dont la fermentation ou l’ouverture d’une décharge contrôlée. Elle fixe son choix sur le terrain de manœuvre du Menneton et par décision de l’autorité militaire, elle obtient le 23 juin 1950 une partie de ce terrain pour y ouvrir une décharge contrôlée des ordures ménagères. Mais rapidement, cette décharge gêne les riverains qui se plaignent des odeurs et de la présence de rats. Par ailleurs, elle devient rapidement saturée, obligeant la municipalité à trouver une autre destination aux ordures ménagères. Par délibération du 9 octobre 1959, le Conseil municipal décide d’ouvrir un concours pour la construction d’un centre de traitement des ordures ménagères. La décharge du Menneton ferme en 1960.

Après la transformation en 1980 de l’usine de traitement de la Grange David, une grande décharge est ouverte à Sonzay en 1985. Couvrant 80 hectares, elle traite aussi les déchets de départements limitrophes. Ce site important dispose d’un réseau de collecte de biogaz.

Le service municipal de la collecte des ordures ménagères

Mécontente du service rendu par les entrepreneurs privés en charge de l’enlèvement des boues et immondices, la Ville Tours profite de l’échéance du traité le 31 janvier 1917 pour changer de dispositif. Par délibération du 9 juin 1916, le Conseil municipal décide que ce service sera directement pris en régie municipale, à compter du 1 er février 1917. Le service municipal de la collecte des ordures ménagères est alors placé sous la direction de l’architecte-voyer en chef. En 1927, il se compose de 38 agents dont 2 au ramassage proprement dit. Il met en œuvre 29 tombereaux et dispose de 28 chevaux. La ville est alors divisée 44 secteurs, chacun desservi par un ensemble constitué d’un homme, un tombereau, un cheval. Le service débute à 6h30 et s’achève à 15h.

En 1929, le service fait l’essai d’un camion électrique. Convaincue par ces véhicules, la Ville en commande 8 à la société SOVEL en 1930. Elle complète la flotte par deux nouveaux camions électriques en 1935. Au début de la seconde guerre mondiale, le service dispose de 10 camions. Mais les tombereaux à cheval seront encore utilisés durant des années.

Les améliorations techniques se multiplient rapidement. Ainsi, le service de la collecte impose des poubelles étanches et closes. Puis, le 1 er juin 1971, il introduit un système novateur de collecte hermétique, avec un nouveau type de poubelles à couvercle fixe évitant tout contact avec l’air.

Au moment de l’ouverture de la décharge de Sonzay en 1985, le service de la collecte et du traitement des ordures ménagères comprend 111 personnes, dont 30 conducteurs et 64 éboueurs. Il gère une flotte de 33 camions-bennes qui enlèvent annuellement 55.000 tonnes d’ordures ménagères.

L’usine d’incinération

Le volume des ordures ménagères s’amplifiant, la Ville de Tours ne peut plus se satisfaire des dépôts à l’air libre. Par contrat du 10 mars 1924, elle confie à la Société d’entreprise pour l’industrie et l’agriculture (SEPIA) la construction puis l’exploitation d’une usine d’incinération des ordures ménagères. Construite près du stade Tonnellé, elle commence son exploitation en juin 1925.

Cette usine est prévue pour détruire 3 tonnes d’ordures à l’heure. Elle fonctionne sur un principe simple : on entretient un foyer ardent en brûlant ensemble des ordures et du charbon. Les mâchefers recueillis servent à fabriquer des parpaings et l’usine produit même du courant électrique, la chaleur dégagée alimentant une machine à vapeur. C’est l’une des premières usines de ce genre en France.

L’usine rend de réels services de 1925 à 1939. Partiellement sinistrée, elle interrompt ses activités de 1943 à 1946. En partie réparée en 1947, elle ne fonctionne plus à plein régime. Son exploitation étant onéreuse, la municipalité décide de changer de mode de destruction des ordures ménagères par l’ouverture de la décharge du Menneton en 1950. L’usine cesse définitivement ses activités en mai 1950.

L’usine de traitement de la Grange David

La construction d’une nouvelle usine de traitement des ordures ménagères est décidée en 1959, pour faire face à l’augmentation rapide des détritus générés par une population en nette croissance. Le 8 juillet 1963, le Conseil municipal décide l’acquisition de 6 hectares sur la commune de La Riche, au lieudit « La Grange David ». C’est le site prévu pour l’implantation de l’usine d’épuration des eaux usées, constituant ainsi un complexe global pour le traitement des matières nocives. Le 7 octobre 1963, le projet de création de l’usine est autorisé par la Préfecture d’Indre-et-Loire. Le 1 er septembre 1965, l’usine est mise en activité. Elle fonctionne sur le principe de fermentation des ordures ménagères avec production de compost. Mais en raison de l’accroissement de la population, elle devient rapidement insuffisante. Aussi, un projet de construction d’une nouvelle usine d’incinération est étudié dès 1968.

En 1980, le procédé de compostage est substitué par une mise en décharge directe. Dans un premier temps, cette opération se fait à Pernay, puis à partir de 1985 à Sonzay. Le site de la Grange David est transformé en poste de transit en 1987.